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Les villages de Paris - épisode 6: le village de Vaugirard

Cette semaine, nous vous faisons découvrir l'histoire aussi passionnante que souvent méconnue du village de Vaugirard, se situant dans le quartier du même nom, s'articulant de part et d'autre de la célèbre rue de Vaugirard. 
Avant 1860, il s'agissait d'une commune que Paris a, là aussi, ensuite totalement absorbé, faisant ainsi naître le 15ème arrondissement avec la commune voisine de Grenelle. Il s'agit de l'arrondissement le plus vaste, du plus peuplé et de l'un des plus urbanisés de la capitale. 
Avant cela, Vaugirard était un simple hameau qui se forme le long de la route d'Issy, à proximité d'une maison construite par des moines de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés. L'un d'eux, Gérard de Moret, donnera son nom à l'endroit: le "Val Girard". Le hameau compte alors quelques centaines d'habitants et dépend d'Issy. Il se dote d'une chapelle, Notre-Dame, érigée au début du XIVème siècle. Un siècle plus tard, on y transporte les reliques de Saint Lambert de Maastricht et des pèlerinages s'organisent dont les habitants tirent des revenus!

Le village de Vaugirard est, jusqu'à la Restauration, essentiellement agricole avec des terres de labour, du maraîchage et de la vigne. On y trouve également l'argile et le sable requis pour la fabrication des fameuses tuiles plates de Vaugirard! Un port s'établit le long de la Seine et des industries s'y installent. En 1775 une usine ouvre à Javel (il y a aujourd'hui une rue à son nom), qui donne son nom à la solution qu'inventa le chimiste Berthollet pour blanchir les toiles!
En 1825, un grand lotissement voit ensuite le jour, "Beaugrenelle", sur l'initiative de Jean-Léonard Violet et Alphonse Letellier. Le lotissement s'articule autour de la rue du Commerce et attire dans le nouveau quartier une population déjà bourgeoise. Puis en 1830, Grenelle se sépare de Vaugirard pour devenir une commune à part entière. 
Vaugirard se densifie, s'urbanise et s'équipe, et change donc d'aspect au XIXème siècle. Des usines, dont une importante usine à gaz, s'implantent et transforment le paysage et la sociologie du quartier, au même titre que les abattoirs créés entre 1894 et 1897. Vaugirard devient alors plus populaire. 
Dans les années 1920, la proximité du quartier avec Montparnasse attire des peintres qui installent leurs ateliers dans ce quartier bon marché. La cité Falguière ou la Ruche en sont des exemples. 

Aujourd'hui, c'est près de ces anciens abattoirs que subsiste l'esprit village avec quelques ruelles et petites rues, ultimes vestiges du lotissement "Villafranca" réalisé entre 1850 et 1860 par Alexandre Chauvelot. 

Nous commençons la balade juste à côté du métro Vaugirard, au 279 de la rue. Les impasses et passages sont rares le long de la rue de Vaugirard, mais le square Vergennes fait figure d'exception. Il recèle une petite pépite: la villa Barillet, construite par Robert Mallet-Stevens, l'un des architectes modernistes les plus créatifs de l'entre-deux guerres, abritait l'atelier de Louis Barillet, maître-verrier et mosaïste réputé et figure majeure de l'art décoratif des années 1920-1930. Construit en 1932, le bâtiment est très caractéristique de l'architecture de cette époque: le long des escaliers y sont encore présents des vitraux noirs et blanc ainsi que l' "Histoire de Psyché", un vitrail de 1933 exposé à l'UAM, Union des Artistes Modernes. Le lieu est classé au titre des Monuments Historiques.
Le lieu fut occupé pendant quelques années par le charmant musée Mendjisky. Maurice Mendjisky était un peintre, natif de Pologne. Il arrive à Paris et, du haut de ses 17 ans, participe à ce que l'on appelle l'école de Paris qui réunit des peintres de toute l'Europe, principalement d'Europe de l'Est, venus s'installer à Paris. Mendjisky contribue à divers mouvements artistiques en vogue à l'époque et acquiert une certaine renommée dans le Montparnasse de l'époque. Malheureusement, le musée fait face à des soucis financiers et met la clef sous la porte en 2016, avant d'être racheté par Xavier Niel qui en fait un lieu privé et désormais inaccessible.

Plus loin, au 72 rue Falguière, se trouve la Cité Falguière. En 1861, le sculpteur Jules-Ernest Bouillot achète un terrain rue des fourneaux afin d'y construire des ateliers d'artistes. Paul Gauguin s'y installe en 1877 et c'est Bouillot qui l'initiera à la sculpture. Durant l'entre-deux-guerres, sa proximité avec Montparnasse attire des artistes comme Soutine, Brancusi ou Foujita qui y demeurent. Mais dans les années 1960, les démolitions commencent. Les ateliers des numéros 9 et 11 sont les seuls rescapés, et, s'ils demeurent dans leur état d'origine, détonnent dans un environnement à la physionomie éloignée du site d'origine…. 

Marchons un petit peu, pour arriver rue d'Alleray, une rue ancienne comme peut en témoigner son tracé inégal. On la cite comme le chemin des Tourelles en 1811, ce qui est son nom officiel jusqu'en 1894. Très construite et bordée d'immeubles datant pour la plupart de la seconde moitié du XXème siècle, elle n'a plus grand chose d'une rue de village, à part deux petits passages. Au 25 de la rue se trouve ainsi le hameau d'Alleray, fermé au public et constituée d'une allée courte et étroite avec des petites maisons et une végétation abondante. Juste à côté au numéro 27 on trouve la villa Hersent, assez anachronique dans l'environnement de la rue d'Alleray et qui témoigne de ce que devait être Vaugirard à l'époque où il s'agissait d'un village, avec ses petites maisons basses. 

Au 81 de la rue se trouve un bâtiment étonnant. Regardez bien et essayer de deviner de quoi il s'agit… Cela ne saute pas aux yeux de prime abord, toutefois vous êtes bien en face d'une église, Notre-Dame-de-l'Arche-d'Alliance! Consacrée en 1998, cette église n'a rien d'une église de campagne… Elle surprend par son architecture insolite et résolument moderne, que l'on doit à Architecture Studio, un collectif d'architectes la réputation aujourd'hui internationale. L'église associe des formes minimalistes à des détails fortement symboliques. A l'extérieur, elle se présente comme un cube rigoureux de 18 mètres de côté et enveloppé d'une sorte de cage, ou de résille, métallique protectrice. A côté, le clocher réalisé à partir d'une structure tubulaire culmine à 37 mètres de haut. Symboliquement, l'église a vocation à réunir les traditions du judaïsme et christianisme. Son nom en témoigne, ainsi que le cube évoquant à la fois l'Arche d'alliance et la Jérusalem céleste. A l'intérieur, on peut admirer des vitraux signés Martial Raysse. En 2012, l'église a reçu le label "Patrimoine du XXème siècle". 

Continuons pour arriver au square d'Alleray, tout petit square créé en 1975.  Plutôt atypique et assez romantique, il laisse comme un goût de campagne. Les murs anciens qui paraissent abandonnés comme dans les anciens vergers, que l'on a percé d'ouvertures circulaires auréolées de briques lui donnent un aspect poétique et insolite. 

Si nous nous dirigeons vers la rue Brancion qui longe le parc Georges-Brassens, on observe des signes de la présence des anciens abattoirs qui animaient la quartier de bistrots et restaurants, certains réputés comme le "Bistrot de Walczak" ou "Aux sportifs réunis" qui font partie de son histoire. Au 106 de la rue se trouve le Monfort Théâtre. En 1979, après une carrière cinématographique, la comédienne Sylvia Monfort se consacre au théâtre et vient planter son chapiteau à l'emplacement des abattoirs de Vaugirard. En 1989, le parc Georges-Brassens vient juste d'ouvrir et décision est prise de créer sur place un "vrai" théâtre en dur. Une partie des anciens abattoirs à chevaux est ainsi aménagée pour la partie administrative et la construction du lieu de spectacle est confiée à Claude Parent. Le père de l'architecture oblique et fervent adepte d'une architecture "brutaliste" conçoit un bâtiment en métal pyramidal assez atypique! 

Tout juste à côté se trouve la halle aux chevaux avec le marché du livre ancien.En lisière du parc, les anciennes halles aux chevaux du marché, crées en 1907, ont été soigneusement remises en état et accueillent chaque semaine depuis 1987 un marché un livre ancien et des "vieux papiers". Amateurs de livres rares, vous y trouverez des merveilles! On remarque une sculpture, "Le Porteur de viande" d'Albert Bouquillon témoigne aussi du passé des lieux. 

Allons maintenant nous mettre au vert au Parc George Brassens . Juste devant, place Marette, deux taureaux perchés en encadrent dignement l'entrée. En fonte de fer, ils furent sculptés en 1865 par Isidore-Jules Bonheur (un homme heureux) et présentés lors de l'Exposition Universelle de 1878. Ce Monsieur Bonheur n'est ni plus ni moins que le frère de Rosa Bonheur, l'une des peintres les plus célèbres et chers en son temps, qui vendait ses œuvres jusqu'au Etats-Unis (avant de donner son nom  à une guinguette parisienne sur une péniche bien connue….)! 
C'est à l'emplacement des abattoirs que le parc fut édifié. Inaugurés en 1898, les abattoirs de Vaugirard furent construits par Ernest Moreau, architecte de la Ville. L'entrée des abattoirs se trouvait à l'angle de la rue des Morillons et de la rue Brancion, et nous pouvons toujours en voir le porche monumental. Ils sont construits sur le "clos des Morillons", du nom d'un ancien vignoble qui poussait dans le quartier (720 pieds de vigne ont d'ailleurs été plantés en souvenir lors de l'aménagement du parc). L'emplacement a été choisi en raison de la proximité de la Petite Ceinture: une gare est même implantée à proximité immédiate et une rampe permettait de relier la gare aux abattoirs!

Comme à l'époque la viande de cheval est largement consommée, on lui adjoint en 1904 un abattoir hippophagique pour remplacer ceux de Villejuif et Pantin. On installe aussi un important marché aux chevaux sous la halle, il faut dire qu'il y a à cette époque encore près de 80 000 chevaux dans Paris, essentiellement destinés au transport. Ils ne disparaissent de Paris qu'à la fin des années 1940. Le quartier vivait entièrement des abattoirs, du marché et de ses maquignons (les marchands de chevaux). Mais dans les années 1960 les abattoirs se révèlent être inadaptés, et décision est prise de les fermer, ce qui sera effectif en 1974. Et le parc est inauguré en 1985. Si une grande partie des abattoirs fut détruite, on remarque encore le beffroi de la criée avec son clocheton et ses grandes horloges. Et à l'extérieur du parc, les anciennes halles du marché aux chevaux ont, elles, été soigneusement conservées. 

Avançons un petit peu pour nous retrouver rue Chauvelot et au niveau de l'impasse du Labrador. Alexandre Chauvelot, promoteur du hameau de Plaisance, a créé vers 1850 le "village de l'Avenir". Les dernières traces de cette cité de petites maisons sont visibles dans la rue Camulogène, qui débouche sur la très curieuse impasse du Labrador… En pénétrant dans cette impasse, point de chenil mais des pavillons secrets qui se nichent dans la verdure comme si le temps s'était arrêté soudainement…. On a du mal à croire que les boulevards des Maréchaux sont à deux pas! 

Tournons-nous maintenant rue Santos-Dumont, qui, avant de s'appeler ainsi en 1933 en hommage à l'aviateur franco-brésilien et créateur des "Demoiselles" (un modèle d'avion), s'appelait boulevard Chauvelot (décidément il avait le vent en poupe ce monsieur Chauvelot). Aujourd'hui, le côté des numéros pairs est bordé d'une suite de petites maisons de ville toutes identiques, adorables avec leurs façades enduites et leur toit de zinc. Construites par l'architecte Henry Trésal au début des années 1920, elles étaient destinées à une classe moyenne prête à s'expatrier dans des quartiers alors très périphériques. C'est au numéro 42 que Georges Brassens vient habiter lorsqu'il quitta l'impasse Florimont en 1966! 
Dans le prolongement de la rue, au numéro 32, arrêtons-nous à la charmante villa Santos-Dumont. Y règne une atmosphère bucolique dans cette villa où ateliers d'artistes et pavillons se côtoient sous la verdure. A la fin du XIXème siècle, le sculpteur Louis Paynot achète un terrain, vraisemblablement agricole, et son fils construit les maisons. Dans les années 1920, la villa compte des résidents illustres comme Ossip Zadkine, Fernand Léger ou Eugène Zak. 

Plus loin, reliant la rue Olivier-de-Serres à la place Balard, la promenade de la Petite Ceinture nous tend les bras! Les voies se faufilent dans la verdure foisonnante, frôlant parfois l'arrière des immeubles. Depuis 2013, une section d'1,3 km a été aménagée pour le plus grand plaisir des promeneurs. A la demande de la SNCF, les aménagements qui dissimulent parfois les voies sont modifiables. 
Le Petite Ceinture , aujourd'hui désaffectée,  est longue de 32km autour de Paris. Conçue au milieu du XIXème siècle alors que les fortifications de Thiers viennent d'être achevées, elle est ouverte progressivement de 1852 à 1869. En tranchée, surélevée ou en tunnel, elle entoure Paris sans passages à niveau. Initialement destinée au transport de marchandises, elle a ensuite une double vocation: desservir de l'intérieur les fameuses "fortifs" et les approvisionner autant en hommes qu'en armes ou en ravitaillement; et réunir entre elles par le rail les lignes radiales qui partaient des gares parisiennes. 
En 1877, la construction de la Grande Ceinture, à une quinzaine de kilomètres de Paris, permet de réserver la Petite au transport de voyageurs. 34 gares desservent les quartiers périphériques parisiens et en 1900, 39 millions de voyageurs l'empruntent ! Puis la construction du métro change la donne et les voyageurs désertent cette ligne, qui sera fermée en 1934. La Petite Ceinture est abandonnée depuis 1993 mais fait toujours rêver...

Nous terminons passage Dantzig, caractéristique de ces impasses, passages et ruelles des quartiers populaires du Paris d'autrefois. Ateliers, petits pavillons et bas immeubles s'y côtoient. Echappant au trafic automobile, ce sont aujourd'hui des lieux calmes et souvent recherchés (donc plus très populaires). La notoriété du passage est principalement due à la présence de la cité d'artistes "La Ruche". Fondée en 1902par Alfred Boucher, La Ruche fut fondée pour aider les jeunes artistes souvent sans ressources et une trentaine d'ateliers y sont installés. Alfred Boucher, sculpteur officiel, réalisa de nombreux bustes de personnalités ainsi que des sculptures naturalistes , aux sujets sportifs, sociaux ou travailleurs, ainsi que de sculptures funéraires. Il remporte le Grand Prix à l'Exposition Universelle de 1900. Pour entreprendre la construction de la Ruche, il récupère justement les matériaux de pavillon des vins de l'Exposition de 
1900 avant sa destruction!  Le bâtiment est octogonal, avec ossature de métal et remplissage en briques, et deux cariatides en encadrent l'entrée. La façade et la toiture sont classées. Un tramway reliait La Ruche à Montparnasse, ce qui arrangeait bien ses illustres occupants tels Modigliani, Soutine, Chagall, Léger ou encore Brancusi...! Menacée de destruction, elle a survécu grâce à quelques aides publiques, à une forte mobilisation et au mécénat. Aujourd'hui, la Fondation Ruche-Seydoux en assure l'entretien et la gestion, et une soixantaine d'artistes y résident. Elle est toutefois strictement privée et ne se visite pas! 

Pour finir, arrêtons-nous dans une drôle de rue, la rue Pierre-Mille, totalement asymétrique: d'un côté, de charmantes maisons de ville du début du XXème siècle, de l'autre des immeubles anodins des années 1950-60. Parmi ces maisons, on remarque une de style Art nouveau de l'architecte Jules Perillard au n°10. 



Merci de votre attention et à très bientôt! 

Agathe Perreau