Accueil  >  Blog >   Les villages de Paris - épisode 5: le village d'Auteuil

Les rendez-vous culturels chaque semaine

Les villages de Paris - épisode 5: le village d'Auteuil

Aujourd'hui, nous partons à l'Ouest de Paris pour découvrir ensemble le si charmant village d'Auteuil! Nous y sommes accueillis par une plaque ancienne à proximité de l'église d'Auteuil qui annonce : "Grand rue du village d'Auteuil". Et en effet dans cette rue, on peut encore observer quelques vieilles petites maisons qui témoignent du passé villageois du quartier… 

Avant d'être un village, Auteuil était une seigneurie. Les abbés de Sainte-Geneviève , sur la montagne du même nom, en deviennent les seigneurs, au début du XIIème siècle, et jusqu'à la Révolution. Puis en 1790, la commune d'Auteuil remplace la seigneurie, les limites en sont plus vastes qu'aujourd'hui et s'étendent en partie jusqu'à Boulogne !

Proche de la capitale, Auteuil a rapidement attiré les amateurs de grand air et de campagne. En 1685, le célèbre Boileau y achète une petite maison avec jardin, dans laquelle il vivra 25 ans. Aujourd'hui, un hameau du même nom lui rend hommage. Mais ce n'est pas la seule célébrité du coin: Racine s'installa lui aussi rue d'Auteuil, ainsi que Molière qui, lorsqu'il se sépara d'Armande Béjart, se réfugie dans sa maison d'Auteuil. Mais personne ne sait avec qui, même aujourd'hui… !

Au début du XIXème siècle, l'engouement grandit. Les eaux minérales d'Auteuil sont réputées, et l'on y pratique l'hydrothérapie, et les soins de certains praticiens ont fait école dans toute l'Europe. Le calme et le charme champêtre séduisent les riches parisiens qui s'y font construire des maisons. A partir de 1839, l'architecte Théodore Charpentier  réalise le fameux hameau Boileau Et récidive 10 ans après, lorsqu'il s'associe avec Emile Pereire pour créer la villa Montmorency. 

L'évolution du destin d'Auteuil évolue encore plus radicalement après son annexion à paris en 1860. Associé à Passy, il forme alors le 16ème arrondissement de Paris. La politique urbaine d'Haussmann tend alors à faire de l'ouest de la capitale une ère résidentielle, et à regrouper les quartiers populaires à l'est. La notion de "beaux quartiers" s'affirme alors, et le boom immobilier triomphe. L'urbanisation du quartier d'Auteuil va bon train, et en change nécessairement l'aspect. Néanmoins, l'idée qu'Auteuil est un village demeure bien ancrée dans les mentalités. Et à juste titre…. Découvrons pourquoi ensemble ! 

Nous commençons la balade par Notre-Dame d'Auteuil, l'église qui s'élève Place de l'église d'Auteuil. Construite d'après les plans de Joseph Vaudremer et édifiée à partir de 1877, elle est achevée en 1884 et a vocation de remplacer une ancienne église du XIVème siècle, devenue trop exigüe. Il s'agit d'un édifice de style romano-byzantin, qui était alors en vogue. Sur la petite place, devant l'église, on observe aussi un obélisque de marbre brèche rouge qui s'élève au travers des feuillages  des arbres qui l'entourent. Dédié "aux mânes d'Aguesseau", il est érigé en 1753. Henri-François d'Aguesseau était un magistrat français qui conjuguait égalitarisme, rationalisme et rigueur morale dans un système philosophique et politique. Il influença largement les magistrats de son époque et son œuvre fut considérée comme l'origine du code Napoléon… Sur le socle de l'obélisque, on peut lire cette inscription: "La Nature ne fait que prêter les Grands Hommes à la Terre. Ils s'élèvent, brillent, disparaissent: leur exemple et leurs ouvrages restent". 

Toujours rue d'Auteuil, au numéro 4, se trouve la chapelle Sainte-Bernadette qui saute aux yeux.  Coincée entre deux immeubles, son entrée, monumental portique de briques ceinturé par les immeubles voisins, tranche par sa géométrie radicalement affirmée. Ajouté dans les année 1950, il dissimule partiellement la chapelle des années 1930. Construite en 1936 par Paul Hulot, la chapelle est elle aussi en brique. L'intérieur est lui aussi surprenant, il évoque une coque de bateau renversée. D'une grande sobriété, elle met en valeur la fresque rehaussée de mosaïques du chœur, lui aussi signé Mauméjean, représentant la Vierge et Bernadette lors d'une apparition.

Plus loin dans la rue, nous arrêtons  devant le lycée Jean-Baptiste Say qui se situe dans un ancien hôtel particulier. Dès 1872, l'ancien hôtel particulier Ternaux est acheté par la Ville de Paris pour y aménager une école. Nicolas Ternaux, manufacturier, avais acquis et aménagé en 1804 un ancien château de la fin du XVIIème siècle et fait installer des lavoirs de laine destinés à la fabrication de châles en cachemire. Un portail monumental en fer forgé ferme la cour d'honneur. Le portail, la cour et l'élément central du bâtiment avec son fronton triangulaire sont les seuls vestiges du château d'origine. La façade est inscrite au titre des Monuments historiques. Le bâtiment est devenu le lycée Jean-Baptise Say en 1953. 

Remarquez un petit-peu plus loin, au 19 de la rue, cette jolie maison ancienne coiffée d'une lucarne débordante! Elle appartient à un ensemble de maisons représentatives de ce que devait être la rue d'Auteuil quand ce n'était encore qu'un village.

Nous avançons un petit peu et nous trouvons à présent sur le boulevard Murat, qui est l'un des boulevards des Maréchaux qui entourent Paris. Il se termine dans une relative quiétude, c'est là que se nichent trois villas qui relient le boulevard Murat à la rue Claude-Terrasse. Au numéro 149 du boulevard, nous apercevons la villa Sommeiller, qui était à l'origine un passage étroit de quatre mètres de large. Créé en 1885, le passage porte le nom d'un ingénieur, Dufresne-Sommeiller (la villa suivante porte le nom de villa Dufresne), le passage est ensuite devenu villa. Largement bordé de verdure et de petites maisons, la villa est jalousement fermée au public, mais distille tout de même une ambiance champêtre. 

Nous continuons et arrivons rue Boileau, qui traverse Auteuil du Nord au Sud. C'est une rue qui flâne, à l'ancienne, pas vraiment droite et avec des habitats divers, des petites maisons aux hôtels particuliers rescapés du passé. Au N° 34, on trouve l'hôtel Roszé. En 1891, Hector Guimard n'a que 24 ans lorsqu'il réalise, pour Charles-Camille Roszé, représentant 'une famille de gants et corsets, cet hôtel particulier. Fraîchement sorti de l'école des Beaux-Arts, Guimard s'inspire pour cette maison de l'architecture italienne, en particulier toscane. Il prend en charge l'essentiel du projet: architecture, jardins et quelques éléments de décoration intérieure. Le céramiques de la façade qu'il dessine sont réalisées par Emile Muller.

Au N°38 de la rue se trouve le superbe hameau Boileau. C'est à cet emplacement que Boileau acheta sa maison en 1685. Son jardin y est réputé et Boileau lui-même vantait les mérites de son jardinier, Antoine, dans une ode! 25 ans plus tard, l'auteur du célèbre Art Poétique  revend la maison à un médecin réputé et auteur d'un traité sur le cancer, Claude Deshais-Gendron, qui devient le médecin du Régent. Le domaine accueillit ensuite le peintre Hubert Robert, notamment célèbre pour ses peintures de ruines et ses vues du Louvre, puis il fut vendu en 1835 à un imprimeur, Rose-Joseph Lemercier. Faisant appel à Charpentier, le domaine est loti. Les premières maisons sont livrées 1842, il s'agit encore de maisons d'été. Le vaste parc à l'anglaise est parcouru de cinq avenues et impasses le long desquelles s'alignent les maisons. Et quelles maisons ! Maisons normandes à colombages, chalets ou manoirs gothiques bordent les avenues Molière et Despréaux et les impasses Racine, Corneille et Voltaire.  Cinq pavillons d'origine sont encore en place, dont un manoir gothique de l'architecte Jean-Charles Danjoy, l'un des premiers architectes attachés aux Monuments historiques. Parmi les maisons plus récentes, on peut mentionner un pavillon néoclassique bâti par Hittorff, architecte officiel du Second Empire, et un autre de Guimard, qui a considérablement œuvré à Auteuil. L'ensemble du hameau est inscrit aux Monuments historiques, mais il demeure, comme beaucoup d'autres, fermé au public. 

Jouxtant le hameau Boileau, nous nous arrêtons maintenant devant le surprenant hôtel Danois. Son esthétique radicalement 1900 mêle harmonieusement des influences arabes à des réminiscences italiennes. Construit en 1908 pour un certain G.Danois par Henri Audiger et Joachim Richard, tandem d'architectes en vue au tournant du XXème siècle.  Le peintre Lucien Simon, le "peintre du pays bigouden" y a notamment habité. Aujourd'hui, l'hôtel Danois est habité par une annexe de l'ambassade d'Algérie. 

A N° 67 de la rue Boileau, nous trouvons ensuite le Laboratoire d'aérodynamique de Gustave Eiffel. installé en 1912, le Laboratoire a d'abord été repris par le GIFAS (Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales), qui l'ouvre à l'industrie automobile, puis par le CSTB,  (Centre scientifique et technique du bâtiment). Classé lui aussi au titre des Monuments historiques, le Laboratoire n'est pas ouvert au public. 

Puis au N°84 se trouvent la villa Cheysson et la villa Mulhouse. Cette même entité appartient à un ensemble de 3 petites rues, que l'on appelle villas. Elle est édifiée à partir de 1860 sur l'initiative d'Emile Cheysson et achevée en 1892, et comprend 67 pavillons. Cheysson était promoteur des statistiques institutionnelles, ainsi qu'un réformateur et un défenseur de l'habitat social. Il prend modèle sur la cité ouvrière de Jean Dollfus, filateur à Mulhouse. Aujourd'hui accessible aux seuls résidents, la villa Mulhouse n'a plus grand chose d'une cité ouvrière… Les maisons y sont très recherchées, et l'époque où Auteuil accueillait les ouvriers des usines voisine est définitivement révolue. 

Le long de la villa Mulhouse se trouve l'avenue de la Frillière, où quelques maisons individuelles évoquent ce qu'elle était autrefois. Mais le trésor que recèle l'avenue est l'école de Guimard. Construite par Hector Guimard, l'école du Sacré-Coeur a été commanditée par des associations catholiques de la paroisse Notre-Dame d'Auteuil. S'inspirant du projet de Viollet-le-Duc dont Guimard est un fervent admirateur, le bâtiment annonce toutefois l'Art nouveau. Edifié en 1895, le bâtiment est posé sur des colonnes de fonte inclinées et disposées en V, donnant un accès à un préau sous le bâtiment lui-même. 
Le nom d'Hector Guimard est donc profondément lié à celui d'Auteuil. On remarque ainsi  au sein de la très privée  villa de la Réunion, au 47 rue Chardon-Lagache, une autre maison construite par Guimard en 1905. 

Allons maintenant rue du Docteur-Blanche, qui était dans le passé un simple sentier aux limites du village, le sentier des Fontis. La rue prend ce nom plus tard, en hommage au médecin aliéniste Esprit Blanche (ça ne s'invente pas!) qui y résida.  On y trouve d'anciens hôtels particuliers qui donnent une idée de ce que pouvait être la rue avant le boom immobilier des années 1950-1960. 
Au N°9 de la rue se trouve la courte rue Mallet-Stevens, qui fut inaugurée en 1927. Elle fut construite sur un terrain appartenant à la future Marie-Laure de Noailles, 5 hôtels particuliers y sont édifiés en 1936. L'architecture y est homogène, caractéristique des préoccupations modernistes de Mallet-Stevens avec ses volumes cubistes clairement affichés. Deux constructions y sont remarquables aux numéros 10 et 12 de la rue. Au numéro 10, l'hôtel-atelier des frères Martel , jumeaux qui ont collaboré avec Mallet-Stevens en réalisant les fameux arbres de béton du Pavillon de Tourisme de l'Exposition de 1925. L'hôtel frappe ici par sa géométrie. Il s'articule sur trois niveaux autour d'un spectaculaire  escalier en spirale. Une sculpture de Mallet-Stevens reprend ce thème à l'extérieur de la maison. Au numéro 12, c'est l'hôtel Mallet-Stevens, conçu pour son usage personnel, qui impressionne. L'architecte y avait aussi prévu des bureaux: il y a donc deux entrées, l'une privée, l'autre professionnelle. Les volumes en avancées successives confèrent à l'ensemble un certain dynamisme. 

Au niveau du square du Docteur-Blanche, on peut voir les deux villas réalisées par Le Corbusier dans les années 1920. La première est la villa Jeanneret, construite par Charles-Edouard Jeanneret, dit Le Corbusier, pour son frère. Si la maison est plus sobre et familiale, elle reste caractéristique avec ses longues fenêtres horizontales.  Elle abrite aujourd'hui les archives et la bibliothèque de la Fondation Le Corbusier. Juste à côté, au 10 square du Docteur Blanche, la fameuse Villa La Roche fut conçue par Le Corbusier pour le banquier Raoul Laroche et est, avec sa façade en courbe, très représentative du travail de l'architecte. Elle a notamment été dessinée pour accueillir l'immense collection de peintures du banquier.  Siège de la Fondation Le Corbusier, elle est cette fois ouverte au public!

Nous terminons la balade rue Berton, qui est probablement la seule rue vraiment campagnarde du 16ème arrondissement. C'est même presque un sentier qui se faufile entre les murs! D'un côté se trouve la maison où vécut Balzac, de l'autre le mur de l'enceinte de l'hôtel de Lamballe, et au milieu, une borde datant de 1731 indiquerait la frontière entre Passy et Auteuil. Au numéro 24 apparaît donc la maison de Balzac, où l'écrivain vécut entre 1840 et 1847. L'entrée principale se faisait rue Raynouard, mais une porte "secrète" ouvrait sur la rue Berton trois étages plus bas, et l'on raconte que c'est par là que Balzac filait en douce à l'arrivée de ses créanciers! Aujourd'hui, la maison est transformée en musée conservant les manuscrits de l'auteur. 

Nous espérons que cette balade virtuelle vous a plu, nous nous retrouvons la semaine prochaine pour arpenter les rues du village de Vaugirard ! 

Agathe Perreau