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Les villages de Paris - épisode 4 : le village de Charonne

Pour notre balade d'aujourd'hui, nous avons rendez-vous dans l'est parisien pour découvrir l'ancien village de Charonne, qui s'est initialement constitué autour de son église.  Si l'église Saint-Germain-de-Charonne fut largement remaniée au XVIIème siècle, elle demeure perchée sur son petit promontoire. Ceinturée par son cimetière, il s'agit du berceau du village. 

Jusqu'au début du XIXème siècle, Charonne est le territoire des grands domaines fonciers avec par exemple le château de Bagnolet ou l'ancienne Folie-Regnault, construite au XVIème siècle pour un riche épicier parisien, qui fut ensuite acquise au XVIIème siècle pour le compte des pères jésuites qui y établirent une maison de repos. L'un d'eux se trouvait être François d'Aix seigneur de La Chaise (sacré patronyme), le confesseur de Louis XIV et qui est resté connu sous le nom du...Père Lachaise. C'est en effet ici qu'est créé le cimetière qui porte son nom en 1802!

Le village de Charonne est resté longtemps consacré à l'agriculture: on y cultivait des fruits, des asperges, et les fameux "murs à pêches" de Montreuil ou Bagnolet ne sont pas bien loin. Et c'est aussi une terre de vignes: on y produit un petit vin (décidément) qui rencontre un succès florissant et que les Parisiens viennent déguster sur place puisqu'il est moins cher qu'à Paris (certaines choses ne changent pas) ! Vous l'aurez compris : hors des limites de l'enceinte des Fermiers généraux, Charonne ne fait pas exception et échappe, comme les communes limitrophes et les autres villages évoqués, à l'octroi. Ainsi, dès le début du XIXème siècle, le village de Charonne attire des commerçants, des artisans et des petites entreprises qui profitent des avantages d'un territoire défiscalisé (là aussi, certaines choses ne changent pas).
Puis, l'essor économique qui suit la Révolution et l'Empire engendre la naissance de l'industrialisation: une population ouvrière laborieuse s'installe alors à Charonne. 

En 1860, Charonne ne fait pas exception et est aussi annexé à Paris, et la population voit ce rattachement autoritaire d'un mauvais œil. Le prix des terrains augmente et les petites entreprises déménagent plus loin, dans ce que l'on nomme désormais la banlieue. 

Lors de la Commune, la répression fait rage , s'abattant sur une population en colère; et une partie de la main-d'œuvre est ainsi anéantie... Ce ne sera qu'au XXème siècle que le village de Charonne se remettra et se sentira réellement parisien. 

Le village de Charonne a conservé ses petites rues aux maisons basses, ses squares et jardins partagés de son origine populaire. Depuis les années 2000, la gentrification s'y opère, et son atmosphère est souvent qualifiée de "bobo". 

Commençons la promenade rue des Haies, rue populaire où bistrots et ateliers se succédaient  jusque dans les années 1970. Elle est aujourd'hui une rue calme, rénovée et pleine de charme. Au n°27 se trouvent les premiers bains-douches non-associés à une piscine et qui datent de 1927. Plus loin, au N° 79 nous trouvons le passage Savart, qui a récemment été entièrement été réhabilité et coloré. Juste en face, au n°80, vous verrez des anciens ateliers qui ont eux aussi été rénovés en 2007, et accueillent maintenant une pépinière d'entreprises tout en conservant le caractère original du lieu.

Nous déambulons ensuite jusqu'à la rue des Vignoles, rue étroite et tranquille qui doit son caractère villageois à la quinzaine de passages, sentiers et impasses qui y débouchent! Chemin avant d'être une rue au milieu du XIXème siècle, la rue est aussi bordée de maisons individuelles et de petits immeubles à destination des ouvriers. Pendant la première moitié du XXème siècle, la rue garde son côté populaire voire insalubre. Les impasses furent ensuite copieusement squattées dans les années 1970, et figurèrent au cœur de la lutte en faveur des mal-logés. 
Parmi ses impasses, notons l'impasse Poule et l'impasse des Souhaits, cette dernière abritant Les Mondes Bohèmes, charmant bistrot dont la terrasse est joliment ombragée. 
Plus loin, au 33 de la rue, figure un endroit aujourd'hui habité surtout par des artistes, et qui fut un  haut-lieu politique libertaire et révolutionnaire, lié aux républicains de la guerre d'Espagne qu'à la CNT (Confédération Nationale du Travail). 

Vous avez probablement déjà remarqué depuis le début de la promenade un clocher d'une blancheur éclatante et à l'aspect original: il signe la présence de l'église Saint-Jean-Bosco. Le cardinal Verdier et archevêque de Paris, au début des années 1930, créé les "chantiers du cardinal" voués à la construction des nouvelles églises dans les quartiers déchristianisés. Cette partie du XXème arrondissement était directement concernée, et dès 1931 naît le projet d'un ensemble comprenant une église dont la construction débute en 1934, une école technique et un patronage. Le prêtre italien don Jean Bosco était alors fraîchement canonisé pour avoir dédié sa vie à la scolarisation des enfants défavorisés, et le nouvel édifice prit donc naturellement son nom. Achevée en 1937, l'église est un exemple étonnant de style Art déco, et est restée inchangée depuis sa construction. Son aspect extérieur évoque l'architecture des frères Perret, tout particulièrement celle de la cathédrale Notre-Dame du Raincy dont l'architecte Dimitri Rotter s'est probablement inspiré. 
A l'intérieur, la décoration et l'aménagement marient la rigueur géométrique de l'Art déco à une certaine emphase néoclassique. On remarque surtout la forte présence de matériaux précieux comme le marbre, l'onyx et les mosaïques. Raymond Subes signe les ferronneries, tandis que les frères Mauméjean réalisent là encore les mosaïques, les vitraux et l'habillage des autels et de la chaire. L'atelier Mauméjean, créé en 1860 a connu un extraordinaire développement jusqu'aux années 1950. On leur doit notamment la mosaïque de l'église Saint-François d'Assise de Belleville.

Sortons de l'église pour avancer place Saint-Blaise, qui était autrefois la place de la mairie de la commune de Charonne. On y trouve l'église Saint-Germain de Charonne, édifiée, selon la légende, sur le lieu où, en 429, se seraient rencontrés saint Germain, évêque d'Auxerre, et sainte Geneviève, avant quelle ne devienne la patronne de Paris. Un tableau de Joseph-Benoît Suvée à l'intérieur de l'église en retrace l'épisode. Pour célébrer la rencontre, on éleva à la fin du Vème siècle un petit oratoire, à l'emplacement duquel se trouve aujourd'hui l'église où se mêlent vestiges du XIIème siècle, éléments du XVème et ajouts du XVIIIème. Les vitraux sont quant à eux modernes et datent des années 1950. Un joyeux morceau d'histoire en somme ! 

Juste après, la rue Saint-Blaise était à l'époque la grande rue du village, qui descendait vers Montreuil. Elle est bordée de maisons de ville et de petits immeubles anciens. ll s'agit de la partie villageoise, animée le soir et où se concentrent restaurants et bistrots. Le vaste plan d'urbanisme des années 1960-70 a totalement transformé la partie plus au sud de la rue, avec ses grands immeubles. 
Au n°29 de la rue se trouve le square de Grès, espace de charme et de calme, comme figé hors du temps. Ce jardin est accessible par un étroit passage pavé se faufilant entre de vieilles maisons des XVIII et XIXème siècles. Des pergolas végétalisées en rythment l'espace, chèvrefeuille, glycine et rosiers grimpants y sont rois.

Avançons un petit peu, pour nous retrouver rue de Bagnolet, à proximité du Père-Lachaise, où des impasses viennent buter contre l'enceinte du cimetière. Quasiment inchangées, elles sont autant de témoignages de ce qu'était le Paris ouvrier du siècle dernier. La rue prend un aspect campagnard: sinueuse, elle passe au pied d'une église perchée, par une cité d'artistes et des petites maisons. Au 102 bis de la rue, La Flèche d'Or est une salle de concert qui fut aménagée dans l'ancienne gare de Charonne sur la Petite Ceinture au dessus des voies abandonnées à la végétation sauvage. Jetez un coup d'œil à l'intérieur de la salle: elle est décorée d'anciens panneaux signalétiques ! 

Nous changeons d'ambiance au 148 de la rue où l'on admire le Pavillon de l'Ermitage - château de Bagnolet. Ou plutôt ce qu'il reste de ce dernier. Le pavillon de l'Ermitage est en effet l'ultime vestige d'une vaste propriété qui s'étendait à la fois sur les terres de Charonne et de Bagnolet. C'est Marie de Bourbon-Condé qui fait construire au XVIIème siècle le château de Bagnolet comme château de campagne (en toute simplicité). En 1692 à la mort de la comtesse, le château est vendu au fermier général François Le Juge, puis est revendu en 1719 à Philippe d'Orléans, le régent du royaume de France. La duchesse d'Orléans, son épouse et fruit des amours de Louis XIV avec la marquise de Montespan, en fait sa résidence principale, et l'agrandit. Le petit neveu du célèbre jardinier du roi Le Nôtre en redessine alors l'immense parc. Le long de la rue Bagnolet, à l'entrée de l'actuel jardin Debrousse, est alors construit l'élégant pavillon de l'Ermitage entre 1723 et 1727. Dans un style régence, il s'agissait d'un pavillon d'été dont le toit à terrasse d'origine, avec balustrade à l'italienne, était accessible par un escalier extérieur.  Le château passe ensuite de mains en mains, le domaine est vendu par lots. Le château est démoli au début du XIXème, et en 1887 le pavillon est vendu à l'Assistance publique. Grâce à une donation de la baronne Alquier et de son frère Jean Debrousse, un hospice est créé dans le parc. Longtemps déserté, le pavillon est restauré dans les années 2000 et est désormais régulièrement ouvert au public. On y découvre les vestiges de l'aménagement initial, dont trois petits salons: l'un décoré vers 1760 dans le goût "à la grecque" alors en vogue avec sa fresque néoclassique en trompe-l'œil; les deux autres plus anciens sont remarquables pour leurs grisailles représentant des ermites en méditation. 

Approchons-nous maintenant du fleuron du quartier: la Campagne à Paris. Inauguré en 1926, il s'agit d'un îlot de petits pavillons s'échelonnant sur les pentes dominant le boulevard Mortier. On y trouvait autrefois une vaste carrière de gypse, "la Carrière du père Roussel" que l'on cesse d'exploiter en 1878. La carrière se transforme ensuite en petite butte avec les gravats issus du percement des avenues de la République et Gambetta, et l'on y plante ensuite des arbres pour la stabiliser (ça paraît un peu bricolé dit comme ça mais cela semble fonctionner). En 1907, l'avocat populaire Irénée Blanc s'inspire des lois de 1894 sur le financement des logements populaires pour créer, avec Jules Sully-Lombard, pasteur très impliqué dans les affaires sociales, la coopérative "La Campagne à Paris". Leur projet est d'élever des pavillons pour une population modeste mais à revenus garantis. Affiliée aux HMB ("habitations à bon marché"), la coopérative achète la butte alors appelée "Le Plateau", et la lotit. La Campagne à Paris reste une coopérative jusqu'en 1955. Accessible par une charmante volée d'escaliers depuis la place Octave Chanute, elle est principalement constituée de trois rues arrondies, calmes et à la végétation luxuriante et dont des réverbères à l'ancienne jalonnent la parcours.  Vous vous en doutez, les maisons y sont désormais très prisées et la Campagne à Paris n'est plus guère habitée par des ouvriers ou une population modeste. Ce qui frappe toujours en revanche, c'est le calme absolu et cet air de campagne si dépaysant qui y règne, alors que nous sommes juste à côté de la Porte de Bagnolet, l'une des plus embouteillées de Paris!

Nous terminons place Octave Chanute, place triangulaire ombragée avec son banc, son réverbère à l'ancienne et sa fontaine Wallace.. Une vraie carte postale! 

A très bientôt pour une nouvelle balade cette fois plus à l'ouest, dans le village d'Auteuil ! 

Agathe Perreau