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Les villages de Paris – épisode 1 : le village de Belleville et Ménilmontant

Commençons la balade là-haut sur la colline...
Car le village de Belleville est perché sur la colline du même nom, qui est la plus haute de Paris! Grâce à ses nombreuses sources d'eau, Belleville devient dès le Moyen-Age le château d'eau de Paris et alimente la capitale. En 1790, l'ancienne paroisse de Belleville est transformée en commune, à laquelle est rattaché l'ancien hameau de Ménilmontant, mais l'ensemble demeure à l'époque une petite bourgade, dans laquelle le mur des Fermiers généraux vient d'être construit. Il s'agit de l'une des enceintes de Paris, construite avant la Révolution. Belleville attire à l'époque les parisiens qui viennent s'y approvisionner, puisque la commune échappe à l'octroi (cet impôt sur les denrées entrant dans la capitale était bien entendu peu apprécié). Notons que cet impôt avait engendré la construction en 1785 de 60 points de contrôle dans Paris par l'architecte Nicolas Ledoux, dont deux bâtiments sont encore debout et visibles place Denfert-Rochereau.

Mais revenons à Belleville. Au XVIIIème siècle, il s'agit d'un village surtout agricole, où l'on cultive des céréales et la vigne. Le "guinguet" y est produit, petit vin blanc que l'on vient déguster dans les nombreuses et très fréquentées…. Guinguettes !On trouve donc à Belleville des terres cultivées et des moulins à vent, mais aussi, et surtout, des carrières de gypse qui y est exploité depuis l'Antiquité. Mais au XVIIIème siècle, les  carrières se multiplient, notamment sur les flancs de la Butte Chaumont, qui voit sa colline éventrée par les carrières à partir de 1810. C'est de ce gypse que l'on tire le fameux plâtre de Paris. C'est alors que le coin, bourré de fours à plâtre rougeoyants et dégageant une fumée que l'on imagine (on les appelait "les fours du Diable") prend des airs de paysage d'Apocalypse.

Puis au XIXème siècle, la population y augmente fortement du fait des grands chambardements entrepris par Haussmann sous le Second Empire et de l'exode qu'ils engendrent. Exode surtout d'une population pauvre qui s'installe alors dans les faubourgs aux loyers moins chers de Ménilmontant et Belleville qui deviennent alors populaires. Mais aussi bien remuants, prompts aux barricades et révoltes, et aux idées révolutionnaires et socialistes qui s'y développent, tout comme les Apaches, marlous qui font la une du Petit  Journal, terrorisent le bourgeois, sèment la panique et s'affrontent copieusement avec les forces de l'ordre. 

Jusque dans les années 1950, Belleville et Ménilmontant conservent ce côté de faubourg populaire du Paris gouailleur d'Edith Piaf (la Môme est née au 72 rue de Belleville où sa maison est encore visible) et Maurice Chevalier. Mais le quartier conserve aujourd'hui des traces de son passé populaire avec son côté villageois, ses ruelle pavées, ses passages noyés sous la verdure et ses petits quartiers pavillonnaires qui nous propulsent ailleurs. Découvrons-en quelques points phares!


Arrêtons-nous d'abord sur les Buttes-Chaumont qui, en 1860, quand le village de Belleville est annexé par Paris, offrent un paysage proche de la désolation et quasi lunaire avec d'immenses carrières de gypse désaffectées et leurs galeries hautes comme des cathédrales perforant la butte. Mais plus pour longtemps car en 1867, le jour de l'ouverture de la deuxième Exposition Universelle de Paris, on inaugure le nouveau par des Buttes-Chaumont dans le cadre de l'ambitieux programme d'Haussmann (à qui l'on doit également le parc Montsouris au Sud de la capitale). Le jardinier en chef, Jean-Pierre Barillet-Deschamps, était un fervent admirateur des jardins à l'anglaise et cela se ressent dans ce parc aux reliefs tourmentés, pitons rocheux, stalactites artificielles, à la falaise titanesque tombant dans un lac, aux ponts vertigineux, escaliers taillés dans la roche, pavillons campagnards et sculptures bucoliques et chemins dégringolant dans le lac, pour un paysage à la fois pittoresque et romantique qui en fait le plus emblématique des parcs Napoléon III.

Si l'on quitte le parc et que l'on se dirige vers le 93 rue de Crimée, on a la chance de découvrir l'endroit le plus secret et insolite du quartier: l'église russe orthodoxe Saint-Serge de Radonège. Poussons une porte cochère, allons au bout d'une allée et en haut d'une volée d'escaliers, découvrons cette église et son surprenant porche en bois polychrome… Pour nous apercevoir que l'architecture de l'église, hormis cela, est fort peu orthodoxe et encore moins russe! En effet, avant d'être russe, l'église fut allemande et luthérienne, construite vers 1850 à destination des émigrés allemands de la région parisienne. Confisquée pendant la Grande Guerre puis vendue aux enchères, elle est rachetée par la communauté russe - en hausse depuis la révolution de 1917 - en 1924 le jour de la saint Serge de Radonège (illustre inconnu pour nous mais visiblement fort populaire en Russie). Jusqu'en 1927, l'église est donc transformée et redécorée, le fameux porche en bois se dote d'une fresque peinte représentant les saints-pères du dogme orthodoxe; et l'iconostase s'orne d'une centaine d'icônes.

Arrêtons-nous ensuite un petit peu sur la butte Bergeyre, dont les sols ont également été exploités pour le gypse. A la fin du XIXème siècle, on y installe entre autres un parc d'attractions: les Folies-Buttes avec à la clef music-hall, restaurants, bal.. Tous les attributs de la Belle-Epoque! Puis, après la Première Guerre mondiale, un stade y est aménagé puis fermé en 1926, et à partir des années 1930 la butte est lotie, les rues sont pavées, les maisons ont un air de villas de bord de mer, les glycines et vignes vierges dévalent sur les façades. Notons une construction aussi cachée que surprenante: une villa moderniste des années 1930, la maison Zilveli de l'architecte autrichien Jean Welz. Ne vous fiez pas à la tranquillité et au silence qui confèrent à la butte un air de bourg provincial, ses habitants sont surtout des architectes, designers et cinéastes privilégiés!

Nous arrivons maintenant à la Mouzaïa… Quel drôle de nom direz-vous ! Pourtant, pas l'ombre d'un minaret ou signe d'une architecture orientale ici… La Mouzaïa, c'est un col vers Bilda (Algérie) où les troupes françaises ont vaincu celles d'Abd-el-Kader, et c'est pour célébrer l'évènement que l'on a donné ce nom à la grande rue traversant ce quartier entièrement pavillonnaire. La rue Mouzaïa, c'est en effet la colonne vertébrale du quartier, contre laquelle se blottissent des ruelles étroites, piétonnes et bordées de petites maisons. C'est en 1880 que l'on commence à construire 250 petits pavillons ouvriers avec leur minuscule jardin. Du Moyen-Orient, on passe plus à l'ouest: ce quartier est surnommé "quartier d'Amérique"... Savez-vous pourquoi? Parce que la légende veut que le gypse extrait de ses sols aurait filé tout droit en Amérique pour servir à la construction de la Maison Blanche… Légende urbaine ou non, nous recommandons d'aller y flâner au printemps lorsque les glycines et le chèvrefeuille reprennent leurs droits dans les ruelles et sur les façades!
Vous pourrez également visiter l'église Saint-François d'Assise au 9, rue de la Mouzaïa, construite en 1926 selon la tradition des chapelles d'Ombrie et très inspirée de l'art roman avec ses murs blancs, son plafond en bois sombre et ses vitraux. Vous y admirerez l'immense mosaïque de style byzantin qui décore le chœur et est signée des ateliers Mauméjean, mosaïstes alors réputés.

La balade continue au 13, rue de la Villette avec un exemple de villa comme il en existe beaucoup dans le quartier: la villa l'Adour (toutefois bien gardée par un digicode) avec sa chaussée pavée, sa rigole, ses petites maisons, ses pavillons et ses façades, dont celle au n° 20 dont les deux niches sont ornées de sculptures néoclassiques.


Rue Belleville, on observe une architecture qui reflète le melting-pot démographique du quartier: des immeubles haussmanniens se faufilent entre des maisons basses plus anciennes, des premiers logements sociaux d'avant 1914 et des immeubles des années 1960 à aujourd'hui. Au 117 de cette rue, observons la cité de la Fondation Rothschild et son bâtiment en brique construit en 1908 "pour l'amélioration de l'existence matérielle des travailleurs". A noter, le porche monumental et son bas-relief en grès émaillé turquoise. Plus loin, au n°145, on entre dans une cour s'ouvrant sur une succession d'ateliers d'architectes et créateurs, remplaçant les artisans d'autrefois.

Arrêtons-nous maintenant sur un étrange petit monument entouré d'un jardin au 3, rue Augustin-Thierry: il s'agit du regard de la lanterne. Non, il ne s'agit pas d'une hallucination due au confinement, mais d'un monument en rotonde surmonté d'un lanternon, témoignant du rôle fondamental de l'eau à Belleville autrefois! L'eau jaillissait de multiples sources puis était canalisée pour ravitailler les fontaines de Paris par des aqueducs souterrains. Les regards étaient ses petites constructions permettant de surveiller le bon fonctionnement du système. Cette fameuse lanterne, édifiée entre 1583 et 1613, est désormais classée Monument Historique.

Continuons cette balade rue des Pyrénées créée en 1862 avec les aménagements du baron Haussmann (toujours lui) et qui est, juste après la rue de Vaugirard, la plus longue rue de Paris (elle compte 400 numéros)! Elle a été créée pour réunir les anciens villages de Belleville et de Charonne et traverse tout le 20ème arrondissement. Reliant cette rue à la rue de Chine, on s'arrête passage des Soupirs (notons la poésie du nom), qui se faufile entre des petits immeubles de guingois et des maisons particulières. Cette venelle pavée bucolique bordée d'habitations et typique de   Ménilmontant. Levez la tête au n°15, un ancien atelier conserve son fronton peint "Manufacture Parisienne de Perles"!


Une autre des grandes rues de Ménilmontant, la rue de la Mare, est aussi l'une des plus anciennes car on en voit trace dès le XVIIème siècle alors qu'elle n'était qu'un chemin, le "chemin des Nonains" et une des rues historiques du quartier.


Place de Ménilmontant, on remarque un clocher (pas de village sans clocher !) de l'impressionnante église Notre-Dame-de-la-Croix, culminant à 78 mètres, il coiffe l'une des plus grandes églises de Paris. Avec l'essor des ateliers et des industries au début du XIXème siècle, la population augmente à Ménilmontant, et décision est alors prise par l'abbé Longbois, curé de Belleville, de construire en 1860 une "vraie église" en partie pour lutter contre la déchristianisation de ce quartier ouvrier. Cette église, véritable vaisseau néo-roman d'environ 100 mètres de long, est typique des édifices de la fin du XIXème et s'inspire de modèles romans et gothiques.

Plus contemporains, au 54/56 de la rue Ménilmontant, on observe la célèbre œuvre du street artiste Jérôme Mesnager, "La ronde des P'tits gars de Ménilmontant", réalisée en 1995. Père de "l'Homme blanc", figure inventée en 1983, Mesnager a désormais peint ce "symbole de lumière, de force et de paix" dans les rues du monde entier. Et au n°88, on s'arrête devant la Miroiterie, à la fois salle de concert, galerie, atelier et lieu de vie. Célèbre squat ouvert en 1999 et héritier de la culture underground punk des années 1980, il remportait un certain succès avant sa fermeture en 2014.

Retour dans le passé au 121 rue de Ménilmontant avec le beau pavillon Carré de Baudouin… En 1770, Nicolas Carré de Baudouin en hérite et décide de mettre la construction au goût du jour (c'est-à-dire au goût néoclassique) et Pierre-Louis Moreau-Desproux, en charge de ce projet et grand admirateur de Palladio, imagine le péristyle surélevé avec escaliers latéraux qui évoque les villas italiennes et l'Antiquité romaine. Vendu après la Révolution, probablement à la famille Goncourt (les célèbres frères qualifient l'endroit de "lieu enchanteur"), il passe ensuite entre les mains des sœurs de la Charité au milieu du XIXème, qui y fondent un asile pour orphelins. L'ensemble est ensuite acheté par la ville. Longtemps caché derrière les murs d'un orphelinat, le pavillon apparaît enfin au grand jour en 2007, quand on en fait un centre culturel après sa réhabilitation. Il s'agit d'une véritable folie du XVIIIème siècle qui a retrouvé son charme grâce à la rénovation.

Terminons la balade en douceur vers la rue Boyer, rue pavée où se mêlent de charmantes maisons avec jardins et petits immeubles anciens… Une rue typique de Ménilmontant là aussi, que le photographe Willy Ronis a immortalisé dans les années d'après-guerre. Au 19-25 de la rue trône la Bellevilloise, haut lieu de la mémoire ouvrière de l'est parisien, qui devient dans la première moitié du XXème siècle une puissante coopérative. Créée en 1877 par des ouvriers mécaniciens, la Bellevilloise est d'abord un lieu d'action sociale et d'activité syndicale et politique. Les luttes sociales de la fin du XXème lui donnent de l'ampleur. Un bâtiment en béton est élevé en 1908-1910, puis un deuxième en 1927. Relevant désormais du PCF, on observe une faucille et un marteau qui surplombent l'entrée. Vers 1920, avec pas loin de 15 000 adhérents, elle facilite la vie des familles modestes en proposant des magasins de al vie quotidienne: épicerie, boucherie, charcuterie-triperie, pharmacie…. Un cinéma est ensuite installé dans le deuxième bâtiment. L'activité de la Bellevilloise décline dans les années 1930 et à la veille de la guerre de 40, puis dans les années 1950 les bâtiments sont transformés et réinvestis: une maroquinerie s'y installe. D'où le nom donné au théâtre qui y est ensuite aménagé… Ensuite la Bellevilloise devient ce que l'on connaît aujourd'hui, c'est-à-dire un lieu culturel vivant, organisant concerts et expositions. 


Nous espérons que cette balade virtuelle vous a plu, en attendant de découvrir Paris avec nos balades, nous vous proposons un prochain rendez-vous autour du village de Montmartre !

Agathe Perreau